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Wednesday, May 02, 2012

Grève étudiante au Québec

Encore une fois, je demeure divisé.

J'ai publié un post récemment à ce sujet.

Ce matin ma position est :
"Le mouvement étudiant a gagné suffisamment de point alors que le gouvernement bonifie les bourses, les prêts, les modalités de remboursement et la gouvernance des universités; rentrez en classe !"  

La reprise du mouvement par un paquet d'autres organismes aux agendas bien loin de l'accessibilité aux études m'exaspère.

Voici trois éditoriaux que j'ai apprécié dernièrement.  Dans un sens comme dans l'autre.

Marie-Christine Bernard : "Vouloir régler le conflit étudiant par "l'argumentum ad populum"", 1er mai 2012, La Presse

Lysiane Gagnon : "La grève des ados", 28 avril 2012, La Presse

Mario Roy : "Gouverner", 28 avril 2012, La Presse

Je sais, je lis trop d'un seul médium de droite... mais bon, les minutes sont souvent comptées.

Les articles sont reproduits ci-bas:

Vouloir régler le conflit étudiant par "l'argumentum ad populum"


L'un des procédés rhétoriques favoris de nos dirigeants par rapport au conflit étudiant est l'appel à la majorité. « La majorité des étudiants du Québec suivent leurs cours », martèle la ministre de l'Éducation. Ceci devrait suffire à convaincre les gens que ces jeunes qui demandent une éducation supérieure accessible à tous ne représentent pas la population. Que la population se fout pas mal d'être moins instruite et plus endettée. Qu'elle est du bord du pouvoir.
Or, ce type d'argument n'est rien d'autre qu'un sophisme: argumentum ad populum. Rappelons-nous du fameux « On est six millions, faut se parler » qui vendait de la bière. Montrez-moi donc, madame Beauchamp, tous ces gens dont vous prétendez être la voix, montrez-nous-les, faites-nous-les entendre. Tous de votre bord, vraiment ?

Si, dans le passé, les porte-étendards des changements sociaux s'étaient laissés arrêter par votre argumentaire, vous ne vaudriez pas grand-chose aujourd'hui.

Voyons voir:

- Les 5 et 6 octobre 1789, 3000 femmes marchent sur Versailles. La France comptait alors environ 26 millions d'habitants. Une poignée de mégères, donc, hurlant pour du pain, qu'on a bien tenté de faire taire en les bourrant de brioche. Pourtant, les 60 millions de Français d'aujourd'hui sont bien fiers de ce mouvement d'indignation qui a mené à la République.

- Entre 1876 et 1918, quelques milliers de femmes britanniques ont milité pour le droit de vote. L'Angleterre comptait 40 millions de personnes. On les a bafouées. Intimidées. Ridiculisées. Au nom du plus grand nombre, oui madame, cette majorité que vous qualifiez de raisonnable.

- En 1918, quelques centaines de milliers de personnes appuyaient Gandhi qui voulait faire de l'Inde, sans violence, un pays indépendant. Est-ce que cette minorité ne représentait pas les 251 780 millions d'Indiens d'alors ? Ceux qui ne faisaient pas la grève de la faim étaient d'accord pour demeurer un peuple soumis, traité en sous-citoyen ?

- En 1944, on comptait entre 300 000 et 500 000 résistants en France occupée. Les 40 millions de Français qui n'étaient pas dans le maquis, ils voulaient rester sous la houlette nazie, vous croyez ?

- En 1963, les États-Unis comptaient 160 millions d'habitants. Le 28 août, 250 000 personnes se réunissaient devant le Capitole pour demander que les Noirs aient les mêmes droits que les Blancs. Est-ce que la majorité silencieuse était vraiment du côté des lyncheurs du Mississippi ?

- En 1964, ici, le rapport Parent débouchera sur la démocratisation de l'éducation, les cégeps, les Universités du Québec. Ce rapport montrait la nécessité, pour le bien commun, d'un enseignement supérieur accessible à tous. Combien de membres comptait cette commission ? Sept. Est-ce que la majorité silencieuse était présente lors des débats ? Non. Est-ce que la majorité silencieuse a profité des retombées du rapport Parent ? Oui.

Voilà pour l'histoire. J'aurais pu continuer.

Maintenant, entre 100 000 et 200 000 étudiants sur environ 500 000 sont en grève et demandent que les droits de scolarité des universités n'augmentent pas, pour assurer l'accessibilité aux études supérieures. Sommes-nous huit millions à vouloir qu'ils se taisent et retournent sur les bancs d'école ? Et ceux qui suivent leurs cours et dont le nombre augmente à coups d'injonctions, sont-ils tous de votre bord, madame ? Vous êtes certaine ?

La démocratie fonctionne ainsi. La majorité silencieuse finit par emboîter le pas de ceux qui, à contre-courant, à contre-confort, à contre-indifférence, portent dans la rue les combats sociaux. La résistance est l'affaire de la minorité qui a le courage de l'endosser.

Lorsque vous savourez votre pouvoir, madame, j'espère que vous vous souvenez de ces gens qu'on a méprisés comme votre gouvernement le fait des étudiants, et dont la lutte vous a conduite où vous êtes.

L'auteure est écrivaine plusieurs fois primée (France-Québec 2009 entre autres) et professeure de littérature au collégial.



La grève des ados



Alors, la grève étudiante à l'école primaire, c'est pour quand?

Je plaisante, mais à peine. Cette semaine, quatre écoles secondaires de la Commission scolaire de Montréal ont fermé leurs portes à la suite d'un «vote de grève» pris par les élèves - des ados dont les plus jeunes ont 12 ans!

Que les ados veuillent se donner trois jours de congé pour aller courir dans la rue avec les grands, ma foi, cela se comprend. Un carré rouge, c'est plus excitant qu'une dictée. Ce qui est extrêmement dérangeant, c'est que tout cela s'est fait avec la complicité des autorités scolaires.

Le directeur de l'école François-Joseph Perreault se dit «fier» de ses élèves, pendant qu'une enseignante se pâme devant leur ligne de piquetage: «une belle action!», s'exclame-t-elle.

La Commission scolaire de Montréal a déclaré qu'elle respecte «l'expression démocratique des points de vue» de ses élèves. Sur les sites web des écoles fermées pour cause de piquetage, le message aux parents de la CSDM est annoncé d'une manière presque militante: en lettres blanches sur un rectangle rouge!

Les écoles de la CSDM, qui affichent, faut-il le rappeler, un taux de décrochage alarmant de l'ordre de 30%, n'avaient qu'un devoir, et un seul: forcer les élèves que la société leur a confiés à rester en classe.

C'est bien le comble de l'irresponsabilité que de laisser des enfants qui n'ont pas le droit de vote, ni celui d'acheter des cigarettes ou de l'alcool, se fourvoyer dans des manifs houleuses et possiblement violentes, et dans un débat politique dont on ne leur a même pas exposé les deux côtés, si l'on en juge par l'adhésion aveugle des syndicats enseignants au mouvement de boycott. Cela s'appelle soit de la négligence, soit de l'endoctrinement.

Bien sûr, les «votes de grève» ont été pris à main levée, avec les résultats prévisibles. On ne peut que deviner la solitude de l'ado qui aurait osé faire entendre une voix dissidente.

On ne peut pas aller plus loin dans la démission des autorités face au culte de l'enfant-roi et dans la caricature du syndicalisme, cette grande tradition que les «grévistes» étudiants travestissent allègrement.

Le plus désolant, c'est de voir les dirigeants de la CSN, une centrale dont la pierre d'assise a toujours été la démocratie syndicale et le respect de la base, applaudir aux déviations du mouvement de boycott.

La plupart des votes, dans les cégeps et les universités, ont été pris à main levée: c'est la voie royale vers l'intimidation des dissidents. Je ne sais pas comment les débats sont menés dans chacune des assemblées étudiantes, mais je serais étonnée qu'ils le soient en fonction du code Morin, ce fameux code de procédure qui est la bible de tout délégué syndical CSN et qui assure, en autant que la chose est humainement possible dans des atmosphères survoltées, la qualité démocratique des assemblées délibérantes.

Rappel des règles en cours dans les syndicats CSN: une assemblée ne peut se tenir que si elle regroupe un nombre minimal de membres cotisants (il faut le «quorum»). Le président de l'assemblée ne participe pas au débat. La question préalable, lorsqu'un membre souhaite clore un débat pour qu'on passe au vote sur la proposition, doit être acceptée par le président, lequel refuse s'il considère qu'il faut laisser plus de gens s'exprimer, et elle doit ensuite être votée par les deux tiers de l'assemblée.

Tout vote de grève se tient au scrutin secret. Plus encore, sur n'importe quelle proposition, un seul membre peut exiger la tenue d'un vote secret.


Gouverner



Un gouvernement démocratiquement élu a le mandat de gouverner, ce qui consiste à prendre des décisions et à les faire respecter.

Sauf dans des circonstances extrêmes, inconnues au Québec, l'opposition violente à ces décisions n'est ni légale ni légitime. La persistance dans le désaccord, elle, l'est parfaitement. Et elle peut s'employer à provoquer la défaite du gouvernement au prochain appel aux urnes.

Pardon pour ce fastidieux rappel de quelques évidences perdues dans le rouge peinturluré et le verre fracassé par la violence de la rue. Mais il faut ce qu'il faut.

D'une part, la juste perception de la réalité a été la première victime de l'agitation étudiante. D'autre part, le gouvernement Charest n'est pas réputé pour ses décisions judicieuses ou sa constance dans leur application. De sorte que, si on ajoute l'odeur de scandale flottant autour de lui, il n'est plus dans une bonne position pour se faire respecter. Malgré cela, son devoir est de continuer à gouverner.

Jusqu'aux prochaines élections.

***

Tenir la barre d'une société avancée est devenu, en exagérant à peine, une entreprise... vouée à l'échec. Car un gouvernement est utile dans la mesure où il est capable de faire les choix nécessaires même lorsqu'ils sont impopulaires. Ce qui est proche de l'utopie.

Tout conspire en effet contre un «bon» gouvernement.

D'abord, plus de 40% des électeurs québécois ne paient pas d'impôt sur le revenu, le moyen le plus voyant et le plus souffrant pour le citoyen de nourrir la caisse de l'État. Cela signifie que près de la moitié de la population soutiendra de façon quasi automatique toute bonification de la «gratuité» des services gouvernementaux. Cette dynamique est irrépressible et immuable.

Ceci entraîne cela: il est sur le long terme impossible, non seulement de réduire la taille de l'État, mais de maîtriser sa croissance. C'est une recette pour la catastrophe. Laquelle, ironiquement, déferlera sur ceux qui exigent aujourd'hui dans le bruit et la fureur qu'il croisse encore. Une pression dans le même sens est en outre exercée par de puissants lobbies, ceux des grandes entreprises et ceux des «causes» organisées. Ainsi que par la mécanique interne d'un État moins gouverné par les élus que par ses mandarins, dont le premier souci est de croître et de se reproduire.

S'ajoutent à ce portrait de l'enfer le clientélisme, le gaspillage, la corruption, des maux auxquels aucun gouvernement n'échappe. Les meilleurs les contiennent dans des limites supportables. Les pires sombrent corps et biens.

Tout cela sans parler du fait que la plus timide tentative de l'État de favoriser la création de la richesse est accueillie par les invectives et les huées...

La politique est l'art du possible, veut l'adage. Or, aujourd'hui, gouverner consiste plutôt à se bagarrer avec l'impossible en sachant à l'avance qu'on ne gagnera pas.



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