J'ai trop longtemps négligé Dany Laferrière.
Je le snobais un peu, beaucoup.
Mais depuis l'énigme du retour qui vogue en plein sur les tonalités d'écriture qui m'emballent,
je me plais à écouter ses enseignements, tournés si rondement en verbe.
Un exemple, tout récent, l'article "On ne devient pas écrivain" paru dans l'actualité de septembre 2011.
Lisez-le, ce n'est pas très long et c'est truffé de clin d'oeil poétiques façon D.Laferrière:
... et copié ici pour le préserver hors des archives:
«On ne devient pas écrivain»: les conseils de Dany Laferrière à un jeune écrivain
par Pierre Cayouette
16 Septembre 2011
L’un a émigré dans des circonstances tout à fait romanesques, il y a 35 ans. L’autre est simplement venu étudier en Amérique. Dany Laferrière prodigue, sans prétention, quelques conseils à un jeune auteur, Ryad Assani-Razaki.
« Je viens de quitter une dictature tropicale en folie et suis encore vaguement puceau quand j'arrive à Montréal, en plein été 1976. [...] Je ne suis pas un touriste de passage qui vient voir comment va le monde, comment vont les autres et ce qu'ils font sur la planète. Je suis ici pour de bon, que j'aime ça ou pas. »
Il faut lire ou relire Chronique de la dérive douce (VLB éditeur, 1994) pour mieux saisir la réalité de Dany Laferrière il y a 35 ans, du temps où il n'était qu'un métèque parmi d'autres et qu'il faisait mille petits métiers, lui qui venait tout juste de débarquer à Montréal, après avoir quitté Port-au-Prince précipitamment. L'un de ses amis journalistes avait été trouvé assassiné quelques jours plus tôt, la tête dans un sac, sur une place. Un autre de ses copains croupissait en prison. Dany Laferrière avait choisi de fuir, avec l'ambition de devenir écrivain. Il construit depuis une œuvre autobiographique de grande envergure, œuvre couronnée par de nombreux prix, dont le Médicis, pour L'énigme du retour, en 2009.
Ces jours-ci, Dany Laferrière met la touche finale à un nouveau titre qui paraîtra au Boréal en novembre, L'art presque perdu de ne rien faire, tout en potassant justement une version revue de Chronique de la dérive douce, qui paraîtra en France, chez Grasset, en janvier 2012. Il relit avec émotion ces petites proses qui racontent son arrivée au Québec, quelques jours après le début des Jeux olympiques - on voit partout le visage de Nadia Comaneci - et quelques mois avant les élections du 15 novembre, qui porteront le Parti québécois au pouvoir.
Ryad Assani-Razaki, lui, a émigré dans des circonstances beaucoup moins romanesques. Le jeune écrivain de 30 ans d'origine africaine a quitté son Bénin natal à 17 ans pour aller étudier en informatique en Caroline du Nord, aux États-Unis, avant de s'établir à Montréal. Consultant en informatique, il écrit entre deux contrats, à Montréal ou à Toronto. Son premier roman, La main d'Iman, lui a valu le prix Robert-Cliche 2011 du premier roman et paraît cet automne. Il a choisi le Québec et le Canada, dit-il, « parce que tout est à définir en ce pays. C'est une société modelable, qui n'est pas rigide comme la société américaine ».
Dans un café jouxtant le square Saint-Louis, là où il fit les quatre cents coups à son arrivée au Québec, Laferrière a accepté de jouer les Rainer Maria Rilke (auteur des célèbres Lettres à un jeune poète) et de donner, sans prétention, quelques conseils à Ryad Assani-Razaki et à tous les aspirants écrivains.
Avec sa faconde légendaire, Laferrière commence par une pirouette : « Si nous sommes en présence d'un véritable écrivain, il n'a pas besoin de conseils. Et s'il n'est pas bon, les conseils retarderont le moment où il s'en rendra compte. »
Selon l'auteur de L'énigme du retour, on peut apprendre à mieux écrire, comme on peut apprendre à mieux faire de la photo. « Mais on ne peut apprendre à devenir un écrivain. Être écrivain, c'est avoir un type bien particulier de présence au monde. C'est échapper à l'accélération du temps. C'est à la fois être en mouvement constant et être immobile, disponible, présent au présent. »
L'auteur de Tout bouge autour de moi appelle le lauréat du prix Robert-Cliche, Ryad Assani-Razaki, à se méfier du succès d'un premier livre. « Moi, après le succès de Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer, j'ai dû quitter le Québec pour avoir la paix. Je me suis établi à Miami, de 1990 à 2002. Et là, j'ai pu écrire. »
« Écrire un livre, dit Laferrière, c'est faire de la longue et lente cuisson. Cela signifie qu'il faut parfois laisser reposer les ingrédients. C'est ce que j'appelle "le sommeil de l'écriture", et cela fait partie du processus de création. Quand on connaît le succès, tout s'accélère et on tombe dans la culture des grillades! C'est un piège et il ne faut pas y céder. »
Connaître du succès, poursuit l'écrivain, c'est être aspiré par la conspiration du bruit. « Quand toute une ville vous dit que vous êtes bon et beau, il peut vous arriver d'y croire. Pour être un véritable écrivain, il faut être animé par quelque chose qui va au-delà de l'idée même de faire un livre, quelque chose de grand, quelque chose hors de soi. » Pour Laferrière, cette idée qui porte toute son œuvre pourrait se résumer ainsi : il est possible d'échapper à Duvalier.
Pour être écrivain, affirme Dany Laferrière, il faut lire. « Il faut lire comme un écrivain, c'est-à-dire en tentant de découvrir les petites passerelles, les petites ficelles utilisées par l'auteur. » Il faut aussi avoir de l'ambition, mais pas trop ! « Écrire ne doit pas être une tentative de dépassement de soi. »
Et la critique ? « La critique a droit à la parole une fois. Si tu as quelque chose dans le ventre, tu peux avoir la parole 30 ou 40 fois dans ta vie. Il ne faut pas s'émouvoir d'une mauvaise critique. Ou même d'une excellente. Il faut acquérir une sorte de vanité d'écrivain. Il n'y a que les nuits d'angoisse et d'encre qui comptent. La rencontre des sensibilités, la tienne et celle du lecteur. Le reste n'a que peu d'importance. On peut être imbuvable ou être adorable. On peut être invisible, comme Réjean Ducharme, ou grande gueule, comme Victor-Lévy Beaulieu. Toute morale reste à la surface. »
Les questions liées à l'identité et à l'immigration préoccupent les deux écrivains à divers degrés. « La main d'Iman, c'est l'histoire d'un rêve, celui que tout est plus beau ailleurs, dit Ryad Assani-Razaki. C'est beaucoup ce que j'entends dès que je rentre au Bénin. On m'écoute à peine et on me dit que tout est sans doute beaucoup plus beau ailleurs, au Canada ou aux États-Unis. Ce rêve, c'est le moteur de l'immigration. Quand on découvre la réalité, ça s'arrête. Le rêve prend fin. Quand on vit ailleurs, on se retrouve seul », dit-il.
Dany Laferrière porte un regard bien à lui sur ces questions. « J'ai bien ri quand j'ai vu les audiences de la commission Bouchard-Taylor. Déjà, au début des années 1980, du temps de mes errances au carré Saint-Louis, j'étais dans la modernité totale. Je lisais et je fréquentais Gaston Miron, Gérald Godin, Michel Tremblay et autres grands créateurs québécois. J'allais voir les grandes expositions au Musée des beaux-arts de Montréal. Ces gens-là qui souhaitaient "m'intégrer" à leur société, je ne les voyais pas au Musée des beaux-arts ou dans les librairies ! »
Thursday, May 31, 2012
Friday, May 18, 2012
Go for launch !!
Space Shuttle getting ready for launch,
Time-lapsed movie.
... it's already history :-(
Time-lapsed movie.
... it's already history :-(
Saturday, May 12, 2012
Sensor size and image quality
L'été dernier je discutais avec un ami, photographe professionnel.
Je lui demandais de m'expliquer la différence entre un senseur "APS-C" et un "Full Frame" si les 2 produisaient une photo de 20 Mpixels.
Pour moi un pixel était un pixel, peut importe sa taille.
Lui m'expliquait qu'un "gros" pixel était mieux qu'un "petit".
Mais... je ne comprenais pas.
Ça m'est resté en tête... Puis je suis tombé sur cet article, TRÈS intéressant où la différence est expliquée:
Taille du capteur et qualité de l'image
Il avait raison ! ;-) C'est instructif ! Vous souhaitez savoir qui c'est : Marc Dussault
et pour nourrir la discussion concernant les méga pixels :
Est-ce que plus de mega pixels c'est mieux ?
Je me permets de recopier ici l'article pour prévenir le cas, trop fréquent, où l'article est effacé du contenu libre du cyberespace.
Je lui demandais de m'expliquer la différence entre un senseur "APS-C" et un "Full Frame" si les 2 produisaient une photo de 20 Mpixels.
Pour moi un pixel était un pixel, peut importe sa taille.
Lui m'expliquait qu'un "gros" pixel était mieux qu'un "petit".
Mais... je ne comprenais pas.
Ça m'est resté en tête... Puis je suis tombé sur cet article, TRÈS intéressant où la différence est expliquée:
Taille du capteur et qualité de l'image
Il avait raison ! ;-) C'est instructif ! Vous souhaitez savoir qui c'est : Marc Dussault
et pour nourrir la discussion concernant les méga pixels :
Est-ce que plus de mega pixels c'est mieux ?
Je me permets de recopier ici l'article pour prévenir le cas, trop fréquent, où l'article est effacé du contenu libre du cyberespace.
Sensor Size and Image Quality
When it comes to digital camera sensors, bigger is DEFINITELY better.
Instead of a sophisticated piece of electronics, think of a digital sensor for a moment as a collection of hollow cylinders arranged in a rectangular grid.
Also imagine - for the sake of simplicity - that the grid consists of 30 horizontal cylinders and 20 vertical ones for a total of 600 cylinders.
The purpose of each one of these cylinders is to gather light so that the light can be converted into an image.
First, let's place all of these cylinders in a rectangle that is limited in width to 120 pixels (I'm using pixels as a unit of measurement to avoid any references to inches vs. millimeters). At only 120 pixels wide, each cylinder can only measure 4 pixels across.
But if we expand the width of the rectangle that contains the cylinders to 240 pixels, then each cylinder can be twice as wide (8 pixels across). Increasing the surface area for the cylinders without increasing their number means that each cylinder can be physically larger.
Digital Sensors and Photosites
Instead of cylinders, digital camera sensors contain millions of individual light-gathering elements calledphotosites (where a photosite is like the cylinders in the example above).
When a manufacturer creates a camera with a larger sensor, they have two choices:
As I discuss on my page on megapixels, more megapixels are really only necessary if you want to make giant prints. Having more megapixels does NOT make your photos look better.
But why would a manufacter choose to increase the size of the photosites rather than upping the megapixel count?
Once you know the answer, the real benefit of larger sensors becomes apparent: larger photosites DO capture images with higher quality, especially at high ISO settings.
Large photosites produce less noise at high ISO settings, while small photosites produce a ton of noise even at relatively low ISO settings.
Take a look at these two photos.
The photo on the left was captured with a compact camera with a small sensor at ISO 800. Notice the level of speckling - also called image noise - that is visible. The photo on the right was captured with a digital SLR with a large sensor at ISO 800.
Even though the ISO value is the same for both photos, the larger sensor in the DSLR produces less noise.
Sensor Sizes - From Compact to DSLR
Now that you know that the size of a digital sensor can have an impact on the quality of your photos, let's take a look at the different options that are available to you.
There are currently five main sensor sizes in digital cameras:
Since just looking at the numbers is not enough to see the difference in size, the following diagram illustrates the differences (note: these are not the actual sizes of the sensors, but the relative proportions are correct). Since 4/3 and micro 4/3 sensors are so close in size, I have not included regular 4/3 in the diagram.
Remember: the larger the sensor, the less noise you get at high ISO settings. Put another way, you get BETTER image quality across all ISO values when you use a camera with a larger sensor.
Bottom Line
The reason that mirrorless DSLR cameras are appealing is because on the outside they have the same size and shape as a compact camera, but on the inside they're hiding sensors that are significantly larger.
This means that you don't need to lug around a giant camera if you want to capture higher-quality photos. It's especially nice to know that you can take pictures in relatively dim light without having to compromise image quality too much.
Great image quality in a small, light package — it's the best of two worlds.
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Wednesday, May 02, 2012
Grève étudiante au Québec
Encore une fois, je demeure divisé.
J'ai publié un post récemment à ce sujet.
Ce matin ma position est :
La reprise du mouvement par un paquet d'autres organismes aux agendas bien loin de l'accessibilité aux études m'exaspère.
Voici trois éditoriaux que j'ai apprécié dernièrement. Dans un sens comme dans l'autre.
Marie-Christine Bernard : "Vouloir régler le conflit étudiant par "l'argumentum ad populum"", 1er mai 2012, La Presse
Lysiane Gagnon : "La grève des ados", 28 avril 2012, La Presse
Mario Roy : "Gouverner", 28 avril 2012, La Presse
Je sais, je lis trop d'un seul médium de droite... mais bon, les minutes sont souvent comptées.
Les articles sont reproduits ci-bas:
L'un des procédés rhétoriques favoris de nos dirigeants par rapport au conflit étudiant est l'appel à la majorité. « La majorité des étudiants du Québec suivent leurs cours », martèle la ministre de l'Éducation. Ceci devrait suffire à convaincre les gens que ces jeunes qui demandent une éducation supérieure accessible à tous ne représentent pas la population. Que la population se fout pas mal d'être moins instruite et plus endettée. Qu'elle est du bord du pouvoir.
Or, ce type d'argument n'est rien d'autre qu'un sophisme: argumentum ad populum. Rappelons-nous du fameux « On est six millions, faut se parler » qui vendait de la bière. Montrez-moi donc, madame Beauchamp, tous ces gens dont vous prétendez être la voix, montrez-nous-les, faites-nous-les entendre. Tous de votre bord, vraiment ?
Si, dans le passé, les porte-étendards des changements sociaux s'étaient laissés arrêter par votre argumentaire, vous ne vaudriez pas grand-chose aujourd'hui.
Voyons voir:
- Les 5 et 6 octobre 1789, 3000 femmes marchent sur Versailles. La France comptait alors environ 26 millions d'habitants. Une poignée de mégères, donc, hurlant pour du pain, qu'on a bien tenté de faire taire en les bourrant de brioche. Pourtant, les 60 millions de Français d'aujourd'hui sont bien fiers de ce mouvement d'indignation qui a mené à la République.
- Entre 1876 et 1918, quelques milliers de femmes britanniques ont milité pour le droit de vote. L'Angleterre comptait 40 millions de personnes. On les a bafouées. Intimidées. Ridiculisées. Au nom du plus grand nombre, oui madame, cette majorité que vous qualifiez de raisonnable.
- En 1918, quelques centaines de milliers de personnes appuyaient Gandhi qui voulait faire de l'Inde, sans violence, un pays indépendant. Est-ce que cette minorité ne représentait pas les 251 780 millions d'Indiens d'alors ? Ceux qui ne faisaient pas la grève de la faim étaient d'accord pour demeurer un peuple soumis, traité en sous-citoyen ?
- En 1944, on comptait entre 300 000 et 500 000 résistants en France occupée. Les 40 millions de Français qui n'étaient pas dans le maquis, ils voulaient rester sous la houlette nazie, vous croyez ?
- En 1963, les États-Unis comptaient 160 millions d'habitants. Le 28 août, 250 000 personnes se réunissaient devant le Capitole pour demander que les Noirs aient les mêmes droits que les Blancs. Est-ce que la majorité silencieuse était vraiment du côté des lyncheurs du Mississippi ?
- En 1964, ici, le rapport Parent débouchera sur la démocratisation de l'éducation, les cégeps, les Universités du Québec. Ce rapport montrait la nécessité, pour le bien commun, d'un enseignement supérieur accessible à tous. Combien de membres comptait cette commission ? Sept. Est-ce que la majorité silencieuse était présente lors des débats ? Non. Est-ce que la majorité silencieuse a profité des retombées du rapport Parent ? Oui.
Voilà pour l'histoire. J'aurais pu continuer.
Maintenant, entre 100 000 et 200 000 étudiants sur environ 500 000 sont en grève et demandent que les droits de scolarité des universités n'augmentent pas, pour assurer l'accessibilité aux études supérieures. Sommes-nous huit millions à vouloir qu'ils se taisent et retournent sur les bancs d'école ? Et ceux qui suivent leurs cours et dont le nombre augmente à coups d'injonctions, sont-ils tous de votre bord, madame ? Vous êtes certaine ?
La démocratie fonctionne ainsi. La majorité silencieuse finit par emboîter le pas de ceux qui, à contre-courant, à contre-confort, à contre-indifférence, portent dans la rue les combats sociaux. La résistance est l'affaire de la minorité qui a le courage de l'endosser.
Lorsque vous savourez votre pouvoir, madame, j'espère que vous vous souvenez de ces gens qu'on a méprisés comme votre gouvernement le fait des étudiants, et dont la lutte vous a conduite où vous êtes.
L'auteure est écrivaine plusieurs fois primée (France-Québec 2009 entre autres) et professeure de littérature au collégial.
Alors, la grève étudiante à l'école primaire, c'est pour quand?
Je plaisante, mais à peine. Cette semaine, quatre écoles secondaires de la Commission scolaire de Montréal ont fermé leurs portes à la suite d'un «vote de grève» pris par les élèves - des ados dont les plus jeunes ont 12 ans!
Que les ados veuillent se donner trois jours de congé pour aller courir dans la rue avec les grands, ma foi, cela se comprend. Un carré rouge, c'est plus excitant qu'une dictée. Ce qui est extrêmement dérangeant, c'est que tout cela s'est fait avec la complicité des autorités scolaires.
Le directeur de l'école François-Joseph Perreault se dit «fier» de ses élèves, pendant qu'une enseignante se pâme devant leur ligne de piquetage: «une belle action!», s'exclame-t-elle.
La Commission scolaire de Montréal a déclaré qu'elle respecte «l'expression démocratique des points de vue» de ses élèves. Sur les sites web des écoles fermées pour cause de piquetage, le message aux parents de la CSDM est annoncé d'une manière presque militante: en lettres blanches sur un rectangle rouge!
Les écoles de la CSDM, qui affichent, faut-il le rappeler, un taux de décrochage alarmant de l'ordre de 30%, n'avaient qu'un devoir, et un seul: forcer les élèves que la société leur a confiés à rester en classe.
C'est bien le comble de l'irresponsabilité que de laisser des enfants qui n'ont pas le droit de vote, ni celui d'acheter des cigarettes ou de l'alcool, se fourvoyer dans des manifs houleuses et possiblement violentes, et dans un débat politique dont on ne leur a même pas exposé les deux côtés, si l'on en juge par l'adhésion aveugle des syndicats enseignants au mouvement de boycott. Cela s'appelle soit de la négligence, soit de l'endoctrinement.
Bien sûr, les «votes de grève» ont été pris à main levée, avec les résultats prévisibles. On ne peut que deviner la solitude de l'ado qui aurait osé faire entendre une voix dissidente.
On ne peut pas aller plus loin dans la démission des autorités face au culte de l'enfant-roi et dans la caricature du syndicalisme, cette grande tradition que les «grévistes» étudiants travestissent allègrement.
Le plus désolant, c'est de voir les dirigeants de la CSN, une centrale dont la pierre d'assise a toujours été la démocratie syndicale et le respect de la base, applaudir aux déviations du mouvement de boycott.
La plupart des votes, dans les cégeps et les universités, ont été pris à main levée: c'est la voie royale vers l'intimidation des dissidents. Je ne sais pas comment les débats sont menés dans chacune des assemblées étudiantes, mais je serais étonnée qu'ils le soient en fonction du code Morin, ce fameux code de procédure qui est la bible de tout délégué syndical CSN et qui assure, en autant que la chose est humainement possible dans des atmosphères survoltées, la qualité démocratique des assemblées délibérantes.
Rappel des règles en cours dans les syndicats CSN: une assemblée ne peut se tenir que si elle regroupe un nombre minimal de membres cotisants (il faut le «quorum»). Le président de l'assemblée ne participe pas au débat. La question préalable, lorsqu'un membre souhaite clore un débat pour qu'on passe au vote sur la proposition, doit être acceptée par le président, lequel refuse s'il considère qu'il faut laisser plus de gens s'exprimer, et elle doit ensuite être votée par les deux tiers de l'assemblée.
Tout vote de grève se tient au scrutin secret. Plus encore, sur n'importe quelle proposition, un seul membre peut exiger la tenue d'un vote secret.
Un gouvernement démocratiquement élu a le mandat de gouverner, ce qui consiste à prendre des décisions et à les faire respecter.
Sauf dans des circonstances extrêmes, inconnues au Québec, l'opposition violente à ces décisions n'est ni légale ni légitime. La persistance dans le désaccord, elle, l'est parfaitement. Et elle peut s'employer à provoquer la défaite du gouvernement au prochain appel aux urnes.
Pardon pour ce fastidieux rappel de quelques évidences perdues dans le rouge peinturluré et le verre fracassé par la violence de la rue. Mais il faut ce qu'il faut.
D'une part, la juste perception de la réalité a été la première victime de l'agitation étudiante. D'autre part, le gouvernement Charest n'est pas réputé pour ses décisions judicieuses ou sa constance dans leur application. De sorte que, si on ajoute l'odeur de scandale flottant autour de lui, il n'est plus dans une bonne position pour se faire respecter. Malgré cela, son devoir est de continuer à gouverner.
Jusqu'aux prochaines élections.
***
Tenir la barre d'une société avancée est devenu, en exagérant à peine, une entreprise... vouée à l'échec. Car un gouvernement est utile dans la mesure où il est capable de faire les choix nécessaires même lorsqu'ils sont impopulaires. Ce qui est proche de l'utopie.
Tout conspire en effet contre un «bon» gouvernement.
D'abord, plus de 40% des électeurs québécois ne paient pas d'impôt sur le revenu, le moyen le plus voyant et le plus souffrant pour le citoyen de nourrir la caisse de l'État. Cela signifie que près de la moitié de la population soutiendra de façon quasi automatique toute bonification de la «gratuité» des services gouvernementaux. Cette dynamique est irrépressible et immuable.
Ceci entraîne cela: il est sur le long terme impossible, non seulement de réduire la taille de l'État, mais de maîtriser sa croissance. C'est une recette pour la catastrophe. Laquelle, ironiquement, déferlera sur ceux qui exigent aujourd'hui dans le bruit et la fureur qu'il croisse encore. Une pression dans le même sens est en outre exercée par de puissants lobbies, ceux des grandes entreprises et ceux des «causes» organisées. Ainsi que par la mécanique interne d'un État moins gouverné par les élus que par ses mandarins, dont le premier souci est de croître et de se reproduire.
S'ajoutent à ce portrait de l'enfer le clientélisme, le gaspillage, la corruption, des maux auxquels aucun gouvernement n'échappe. Les meilleurs les contiennent dans des limites supportables. Les pires sombrent corps et biens.
Tout cela sans parler du fait que la plus timide tentative de l'État de favoriser la création de la richesse est accueillie par les invectives et les huées...
La politique est l'art du possible, veut l'adage. Or, aujourd'hui, gouverner consiste plutôt à se bagarrer avec l'impossible en sachant à l'avance qu'on ne gagnera pas.
J'ai publié un post récemment à ce sujet.
Ce matin ma position est :
"Le mouvement étudiant a gagné suffisamment de point alors que le gouvernement bonifie les bourses, les prêts, les modalités de remboursement et la gouvernance des universités; rentrez en classe !"
La reprise du mouvement par un paquet d'autres organismes aux agendas bien loin de l'accessibilité aux études m'exaspère.
Voici trois éditoriaux que j'ai apprécié dernièrement. Dans un sens comme dans l'autre.
Marie-Christine Bernard : "Vouloir régler le conflit étudiant par "l'argumentum ad populum"", 1er mai 2012, La Presse
Lysiane Gagnon : "La grève des ados", 28 avril 2012, La Presse
Mario Roy : "Gouverner", 28 avril 2012, La Presse
Je sais, je lis trop d'un seul médium de droite... mais bon, les minutes sont souvent comptées.
Les articles sont reproduits ci-bas:
Vouloir régler le conflit étudiant par "l'argumentum ad populum"
L'un des procédés rhétoriques favoris de nos dirigeants par rapport au conflit étudiant est l'appel à la majorité. « La majorité des étudiants du Québec suivent leurs cours », martèle la ministre de l'Éducation. Ceci devrait suffire à convaincre les gens que ces jeunes qui demandent une éducation supérieure accessible à tous ne représentent pas la population. Que la population se fout pas mal d'être moins instruite et plus endettée. Qu'elle est du bord du pouvoir.
Or, ce type d'argument n'est rien d'autre qu'un sophisme: argumentum ad populum. Rappelons-nous du fameux « On est six millions, faut se parler » qui vendait de la bière. Montrez-moi donc, madame Beauchamp, tous ces gens dont vous prétendez être la voix, montrez-nous-les, faites-nous-les entendre. Tous de votre bord, vraiment ?
Si, dans le passé, les porte-étendards des changements sociaux s'étaient laissés arrêter par votre argumentaire, vous ne vaudriez pas grand-chose aujourd'hui.
Voyons voir:
- Les 5 et 6 octobre 1789, 3000 femmes marchent sur Versailles. La France comptait alors environ 26 millions d'habitants. Une poignée de mégères, donc, hurlant pour du pain, qu'on a bien tenté de faire taire en les bourrant de brioche. Pourtant, les 60 millions de Français d'aujourd'hui sont bien fiers de ce mouvement d'indignation qui a mené à la République.
- Entre 1876 et 1918, quelques milliers de femmes britanniques ont milité pour le droit de vote. L'Angleterre comptait 40 millions de personnes. On les a bafouées. Intimidées. Ridiculisées. Au nom du plus grand nombre, oui madame, cette majorité que vous qualifiez de raisonnable.
- En 1918, quelques centaines de milliers de personnes appuyaient Gandhi qui voulait faire de l'Inde, sans violence, un pays indépendant. Est-ce que cette minorité ne représentait pas les 251 780 millions d'Indiens d'alors ? Ceux qui ne faisaient pas la grève de la faim étaient d'accord pour demeurer un peuple soumis, traité en sous-citoyen ?
- En 1944, on comptait entre 300 000 et 500 000 résistants en France occupée. Les 40 millions de Français qui n'étaient pas dans le maquis, ils voulaient rester sous la houlette nazie, vous croyez ?
- En 1963, les États-Unis comptaient 160 millions d'habitants. Le 28 août, 250 000 personnes se réunissaient devant le Capitole pour demander que les Noirs aient les mêmes droits que les Blancs. Est-ce que la majorité silencieuse était vraiment du côté des lyncheurs du Mississippi ?
- En 1964, ici, le rapport Parent débouchera sur la démocratisation de l'éducation, les cégeps, les Universités du Québec. Ce rapport montrait la nécessité, pour le bien commun, d'un enseignement supérieur accessible à tous. Combien de membres comptait cette commission ? Sept. Est-ce que la majorité silencieuse était présente lors des débats ? Non. Est-ce que la majorité silencieuse a profité des retombées du rapport Parent ? Oui.
Voilà pour l'histoire. J'aurais pu continuer.
Maintenant, entre 100 000 et 200 000 étudiants sur environ 500 000 sont en grève et demandent que les droits de scolarité des universités n'augmentent pas, pour assurer l'accessibilité aux études supérieures. Sommes-nous huit millions à vouloir qu'ils se taisent et retournent sur les bancs d'école ? Et ceux qui suivent leurs cours et dont le nombre augmente à coups d'injonctions, sont-ils tous de votre bord, madame ? Vous êtes certaine ?
La démocratie fonctionne ainsi. La majorité silencieuse finit par emboîter le pas de ceux qui, à contre-courant, à contre-confort, à contre-indifférence, portent dans la rue les combats sociaux. La résistance est l'affaire de la minorité qui a le courage de l'endosser.
Lorsque vous savourez votre pouvoir, madame, j'espère que vous vous souvenez de ces gens qu'on a méprisés comme votre gouvernement le fait des étudiants, et dont la lutte vous a conduite où vous êtes.
L'auteure est écrivaine plusieurs fois primée (France-Québec 2009 entre autres) et professeure de littérature au collégial.
La grève des ados
Alors, la grève étudiante à l'école primaire, c'est pour quand?
Je plaisante, mais à peine. Cette semaine, quatre écoles secondaires de la Commission scolaire de Montréal ont fermé leurs portes à la suite d'un «vote de grève» pris par les élèves - des ados dont les plus jeunes ont 12 ans!
Que les ados veuillent se donner trois jours de congé pour aller courir dans la rue avec les grands, ma foi, cela se comprend. Un carré rouge, c'est plus excitant qu'une dictée. Ce qui est extrêmement dérangeant, c'est que tout cela s'est fait avec la complicité des autorités scolaires.
Le directeur de l'école François-Joseph Perreault se dit «fier» de ses élèves, pendant qu'une enseignante se pâme devant leur ligne de piquetage: «une belle action!», s'exclame-t-elle.
La Commission scolaire de Montréal a déclaré qu'elle respecte «l'expression démocratique des points de vue» de ses élèves. Sur les sites web des écoles fermées pour cause de piquetage, le message aux parents de la CSDM est annoncé d'une manière presque militante: en lettres blanches sur un rectangle rouge!
Les écoles de la CSDM, qui affichent, faut-il le rappeler, un taux de décrochage alarmant de l'ordre de 30%, n'avaient qu'un devoir, et un seul: forcer les élèves que la société leur a confiés à rester en classe.
C'est bien le comble de l'irresponsabilité que de laisser des enfants qui n'ont pas le droit de vote, ni celui d'acheter des cigarettes ou de l'alcool, se fourvoyer dans des manifs houleuses et possiblement violentes, et dans un débat politique dont on ne leur a même pas exposé les deux côtés, si l'on en juge par l'adhésion aveugle des syndicats enseignants au mouvement de boycott. Cela s'appelle soit de la négligence, soit de l'endoctrinement.
Bien sûr, les «votes de grève» ont été pris à main levée, avec les résultats prévisibles. On ne peut que deviner la solitude de l'ado qui aurait osé faire entendre une voix dissidente.
On ne peut pas aller plus loin dans la démission des autorités face au culte de l'enfant-roi et dans la caricature du syndicalisme, cette grande tradition que les «grévistes» étudiants travestissent allègrement.
Le plus désolant, c'est de voir les dirigeants de la CSN, une centrale dont la pierre d'assise a toujours été la démocratie syndicale et le respect de la base, applaudir aux déviations du mouvement de boycott.
La plupart des votes, dans les cégeps et les universités, ont été pris à main levée: c'est la voie royale vers l'intimidation des dissidents. Je ne sais pas comment les débats sont menés dans chacune des assemblées étudiantes, mais je serais étonnée qu'ils le soient en fonction du code Morin, ce fameux code de procédure qui est la bible de tout délégué syndical CSN et qui assure, en autant que la chose est humainement possible dans des atmosphères survoltées, la qualité démocratique des assemblées délibérantes.
Rappel des règles en cours dans les syndicats CSN: une assemblée ne peut se tenir que si elle regroupe un nombre minimal de membres cotisants (il faut le «quorum»). Le président de l'assemblée ne participe pas au débat. La question préalable, lorsqu'un membre souhaite clore un débat pour qu'on passe au vote sur la proposition, doit être acceptée par le président, lequel refuse s'il considère qu'il faut laisser plus de gens s'exprimer, et elle doit ensuite être votée par les deux tiers de l'assemblée.
Tout vote de grève se tient au scrutin secret. Plus encore, sur n'importe quelle proposition, un seul membre peut exiger la tenue d'un vote secret.
Gouverner
Un gouvernement démocratiquement élu a le mandat de gouverner, ce qui consiste à prendre des décisions et à les faire respecter.
Sauf dans des circonstances extrêmes, inconnues au Québec, l'opposition violente à ces décisions n'est ni légale ni légitime. La persistance dans le désaccord, elle, l'est parfaitement. Et elle peut s'employer à provoquer la défaite du gouvernement au prochain appel aux urnes.
Pardon pour ce fastidieux rappel de quelques évidences perdues dans le rouge peinturluré et le verre fracassé par la violence de la rue. Mais il faut ce qu'il faut.
D'une part, la juste perception de la réalité a été la première victime de l'agitation étudiante. D'autre part, le gouvernement Charest n'est pas réputé pour ses décisions judicieuses ou sa constance dans leur application. De sorte que, si on ajoute l'odeur de scandale flottant autour de lui, il n'est plus dans une bonne position pour se faire respecter. Malgré cela, son devoir est de continuer à gouverner.
Jusqu'aux prochaines élections.
***
Tenir la barre d'une société avancée est devenu, en exagérant à peine, une entreprise... vouée à l'échec. Car un gouvernement est utile dans la mesure où il est capable de faire les choix nécessaires même lorsqu'ils sont impopulaires. Ce qui est proche de l'utopie.
Tout conspire en effet contre un «bon» gouvernement.
D'abord, plus de 40% des électeurs québécois ne paient pas d'impôt sur le revenu, le moyen le plus voyant et le plus souffrant pour le citoyen de nourrir la caisse de l'État. Cela signifie que près de la moitié de la population soutiendra de façon quasi automatique toute bonification de la «gratuité» des services gouvernementaux. Cette dynamique est irrépressible et immuable.
Ceci entraîne cela: il est sur le long terme impossible, non seulement de réduire la taille de l'État, mais de maîtriser sa croissance. C'est une recette pour la catastrophe. Laquelle, ironiquement, déferlera sur ceux qui exigent aujourd'hui dans le bruit et la fureur qu'il croisse encore. Une pression dans le même sens est en outre exercée par de puissants lobbies, ceux des grandes entreprises et ceux des «causes» organisées. Ainsi que par la mécanique interne d'un État moins gouverné par les élus que par ses mandarins, dont le premier souci est de croître et de se reproduire.
S'ajoutent à ce portrait de l'enfer le clientélisme, le gaspillage, la corruption, des maux auxquels aucun gouvernement n'échappe. Les meilleurs les contiennent dans des limites supportables. Les pires sombrent corps et biens.
Tout cela sans parler du fait que la plus timide tentative de l'État de favoriser la création de la richesse est accueillie par les invectives et les huées...
La politique est l'art du possible, veut l'adage. Or, aujourd'hui, gouverner consiste plutôt à se bagarrer avec l'impossible en sachant à l'avance qu'on ne gagnera pas.
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