Une suggestion intéressante de Jean-François Lisée en ce qui concerne la hausse des frais de scolarité. C'est un peu long à lire mais pour ceux qui ont encore le goût des propos complets et des idées bien étayées,... ça mérite les 5 minutes passées à le lire.
Jean-François à souvent des opinions complètes et fort bien dosées, son
blogue mérite d'être suivi.
Voici l'hyperlien vers son article :
En rappel - Frais de scolarité : une nouvelle approche, payante pour l’étudiant, l’immigrant, l’État et la société | Le blogue de Jean-François LiséeJe le recopie ici bas puisque ces choses ont malheureusement le don de disparaître...
Le blogue de Jean-François LiséeFrais de scolarité : une nouvelle approche, payante pour l’étudiant, l’immigrant, l’État et la société11 novembre 2011
Pour ceux que ça intéresse, je reprends ici la proposition de réforme globale des frais de scolarité dont j’ai parlé au Téléjournal de ce jeudi. Dans ce texte, les chiffres ne sont pas à jour mais la proposition reste, je crois, d’actualité.
(Extrait du livre
Nous, JF Lisée, Boréal, 2007)
La volonté québécoise d’ouvrir tout grand les portes de l’éducation supérieure a conduit à une politique de frais de scolarité les plus bas sur le continent et à une politique de prêts et bourses les plus généreux d’Amérique. C’est notamment ce qui a contribué à faire passer le Québec, en moins de quarante ans, des derniers aux premiers rangs dans le monde industrialisé pour son taux de diplômation universitaire.
On sait par ailleurs qu’il manque à nos universités, au bas mot, 400 millions de dollars par an pour suivre le rythme de la qualité nord-américaine. Certains proposent de déréglementer complètement les frais de scolarité, comme aux États-unis et en Ontario. Ils tripleraient ainsi rapidement, surtout dans les sciences médicales et pures, offrant aux universités une salutaire injection de fonds. D’autres estiment que puisque le Québec est passé en 40 ans d’un état de sous scolarisation chronique à la tête du peloton des pays industrialisés, les frais de scolarité à rabais y sont pour quelque chose. S’il faut les changer, ce devrait être pour les abolir, comme en France, disent-ils.
J’estime pour ma part que les frais de scolarité faibles sont un impôt perçu essentiellement sur les revenus de la classe moyenne et bénéficiant essentiellement aux enfants de la classe moyenne, qui vont à l’université. Quelques étudiants pauvres prennent ce train. Ce n’est pas choquant en soi. Mais le sous-financement des universités pose un réel problème. Augmenter les frais de tout ou partie des 400 millions manquants, ce serait pousser les étudiants vers les banques, où ils s’endetteraient d’autant (à fort profit pour les banques). Ce serait donc rendre tous les finissants accrocs à l’endettement personnel, qui est pourtant un des grands problèmes de notre époque.
Un résumé de la proposition faite à la caméra du CNJ-PQ en 2009:
Pensons autrement et réglons un autre problème de notre social-démocratie : nous permettons à nos jeunes de devenir, disons, dentistes ou gynécologues à peu de frais (ils paient 1 800$ de frais de scolarité par an, il en coûte entre 13 et 25 000/an $ pour les former), et des dizaines d’entre eux nous quittent ensuite pour pratiquer ailleurs, ou les salaires sont nettement plus élevés. Notre social-démocratie finance les services des riches. Ce n’est pas être de gauche, c’est être bête. L’augmentation prévisible de la pression continentale pour le recrutement de nos cerveaux, en échange de très hauts salaires, met notre investissement social à risque ou nous pousse à la situation absurde vécue au Québec à l’automne 2007 : soit un gouvernement québécois forcé à crever ses plafonds de dépenses parce que ses médecins spécialistes, ayant obtenu une formation de grande qualité mais à peu de frais grâce aux frais de scolarité minimes, menacent de quitter le Québec pour de plus hauts salaires, et obtiennent ainsi une parité salariale avec leurs collègues ontariens. Mais comme le coût de la vie au Québec est nettement moindre qu’en Ontario (-14%), le niveau de vie de nos médecins spécialistes sera nettement plus élevé (+14%) que celui de leurs collègues ontariens. C’est un cas extrême de beurre, d’argent du beurre, et de camembert au surplus.
En outre, dans la perspective d’une vague d’immigration de jeunes étudiants étrangers que nous voudrons intégrer comme citoyens, la structure de nos frais de scolarité doit être modifiée de façon à laisser cours, bien sûr, à la liberté individuelle de mouvement, mais de façon aussi à protéger l’investissement social dans l’éducation et à inciter à la rétention du plus grand nombre.
Je propose donc, pour nos propres étudiants et pour les 25 000 étudiants étrangers par an que je propose d’attirer, la création de trois filières d’études supérieures :
1. La filière solidarité
Cette filière ne s’applique qu’aux étudiants étrangers. Le Québec accueille au titre de la solidarité internationale 11 000 étudiants étrangers exonérés de frais de scolarité parce qu’ils viennent de pays (dont la France, mais également plusieurs pays africains) avec lesquels le Québec a une entente de réciprocité en éducation supérieure ou parce qu’ils profitent d’une pratique d’exonération de frais de scolarité supplémentaires assumés par le Québec pour des fins de solidarité économique avec des pays émergents.
Dans la mesure où le Québec entend accroître son aide internationale aux pays émergents, il appert qu’à somme égale, le Québec pourrait aider un plus grand nombre de jeunes de pays en voie de développement s’il augmentait son programme d’exonération de frais que s’il investissait cet argent autrement. En effet, les infrastructures post-secondaires québécoises existent, seront bientôt sous-utilisées, le coût marginal serait donc minime.
Dans cette filière, le retour de l’étudiant étranger d’un pays émergent (donc pas la France) dans son pays d’origine est favorisé, car il s’agit d’une aide directe aux pays du Sud. Cependant, le Québec y trouve son compte à deux titres : pendant que ces étudiants sont au Québec pour leur formation, ils participent à la vie économique et culturelle québécoise; à leur retour dans leurs pays d’origine, ils contribuent au rayonnement international du Québec.
2. La filière « coûts réels »
Pour tous les autres étudiants, québécois et étrangers, au point d’entrée à l’université, donnons le choix. L’étudiant pourra choisir de payer le coût réel de ses études (avec un léger profit pour l’État), tout compris. L’étudiant en médecine paiera plus cher (23 000$/an) que celui en théologie (4000 $/an), et tous les deux nettement davantage qu’aujourd’hui. (Mais puisque les coûts au Québec sont toujours plus bas que dans les autres métropoles nord-américaines, nous serons toujours très compétitifs.) Lorsque cet étudiant, payeur et endetté, terminera ses études, il fera ce qu’il voudra et pourra pratiquer à Toronto ou à Seattle si le cœur lui en dit.
Mais s’il travaille au Québec, pendant les 12 premières années de son activité professionnelle générant, disons, au-delà de 75 000 $, on lui versera un crédit d’impôt équivalent, au total, au tiers de ce qu’il a versé en frais de scolarité. Une incitation pour qu’il reste au Québec.
Le diplômé disposera d’une période de 20 ans, après l’obtention de son diplôme, pour se prévaloir de ce crédit fiscal, c’est-à-dire qu’il pourrait séjourner à l’étranger pendant huit des 20 premières années de sa carrière sans perdre ce droit. S’il quittait le Québec en début de carrière, il aurait ainsi une forte incitation à y revenir après quelques années.
Pour un diplômé collégial professionnel (un cours de trois ans), la période serait moitié moindre, soit, disons, 6 ans sur 15.
3. Le Contrat citoyen
Revenons au point d’entrée. L’étudiant aura aussi le choix de signer le Contrat citoyen, en vertu duquel il paiera les frais de scolarité, ridiculement bas, actuels et indexés. Donc, endettement minimum. En échange, il s’engage, pour 12 de ses 20 premières années d’activités professionnelles (6 sur 15 pour le diplôme collégial professionnel)., à œuvrer au Québec, soit dans un lieu que l’État lui désigne s’il est dans une profession publique (professeur, médecin, réglant ainsi largement le problème de répartition régionale) soit simplement au Québec pour les professions de régime privé.
Lorsque son revenu dépassera, disons, 75 000 $ par an, il paiera sur 20 ans ses « frais de scolarité différés » équivalents au total aux deux tiers du coût réel de ses études. Cet étudiant aurait aussi le loisir, à tout moment, de “ racheter ” ses droits de scolarité, au point où il en serait rendu dans les années de travail écoulées.
Sous ce régime, il serait offert à l’étudiant étranger d’être en tout point considéré comme un étudiant québécois : même accès aux frais de scolarité actuels, indexés – très faibles en comparaison avec le reste du continent – même accès au régime de prêts et de bourses, même droit de travailler, même accès à l’assurance-médicament, accès immédiat au statut d’immigrant reçu et à la procédure d’accession à la citoyenneté.
Bref, un système qui augmente fabuleusement les revenus universitaires, qui fait reconnaître par les étudiants la valeur ajoutée par leurs études, qui n’endette que ceux qui décident de l’être, qui retient nos diplômés au Québec et qui permet un accès financièrement aisé pour les milliers d’étudiants étrangers qu’on veut intégrer chez nous. Et puisque, en bout de course, les diplômés paieraient leur juste part de leur éducation (les deux tiers, la société payant l’autre tiers), il serait normal que les salaires versés soient compétitifs avec ceux du reste du continent, à niveau de vie égal. Une raison de moins de partir, une raison de plus de venir – et de revenir.
Il est plus que probable que, si on appliquait ces deux dernières filières à tous les étudiants, l’immense majorité des étudiants québécois choisiraient la filière citoyen, sans coût supplémentaire pour l’État québécois, mais avec une conscience nouvelle de l’investissement que la collectivité québécoise consent dans leur éducation. Avec les étudiants qui choisiraient la filière Coûts réels, l’État récupérerait une partie des sommes actuellement englouties dans l’éducation de futurs citoyens américains ou canadien anglais. J’ai fixé la barre à 12 des 20 premières années, elle pourrait être 13 ou 14, il s’agit de s’entendre sur une période clairement stipulée.
Il y aurait beaucoup à dire sur la façon d’affiner la proposition. La hausse de revenus n’est pas immédiate pour les universités, par exemple, qui doivent attendre qu’une partie des diplômés entrent sur le marché du travail pour payer leurs « frais de scolarité différés ». L’État a la capacité d’anticiper ces revenus et de faire des « avances » considérables aux universités pour augmenter graduellement leur financement en attendant que le nouveau régime atteigne sa vitesse de croisière
[1].
Pour les professions où nous sommes en pénurie – médecins, spécialistes – un quatrième régime pourrait être proposé. Pour l’étudiant intéressé, l’État assumerait, non le tiers de la somme comme dans les autres cas, mais les deux tiers, le reliquat devant être payé en frais de scolarité différé. En échange, l’étudiant diplômé accepterait de travailler comme salarié et également pendant 12 de ses premiers 20 ans de carrière, dans un lieu ou une région que l’État lui désignera et à un niveau salarial moindre, qui pourrait être un pourcentage (disons, 75%) du salaire des collègues de sa profession qui ne participent pas au programme.
Adaptée au contexte particulier du Québec, il s’agit d’une extension à tout le système des frais de scolarité de pratiques existantes à plus petite échelle aux États-Unis et en France. Aux États-Unis, le GI Bill fait en sorte que l’État fédéral verse environ 10 000 dollars par an, pendant quatre ans, aux soldats américains qui suivent une formation quelle qu’elle soit. En échange, le soldat s’engage à servir l’armée américaine, à temps plein, pendant quatre à six ans – et donc à y risquer sa vie. Un régime similaire est en place pour les réservistes américains.
En France, où les frais de scolarité sont presque inexistants, l’État paie aux futurs enseignants, pendant leurs études qu’ils poursuivent jusqu’au plus haut niveau dont ils sont capables, une rémunération de deux à trois mille dollars par an, en échange de quoi ces diplômés s’engagent à travailler pour l’enseignement national français, à l’endroit choisi par l’État, pour une période de dix ans. Un programme similaire, donnant/donnant, existe également pour des infirmières françaises, légèrement rémunérées pendant leur formation de trois ans en échange de l’engagement de travailler à un endroit précis pour une période équivalente.
Il est probable, si on vise l’objectif de 25 000 étudiants étrangers par année, qu’il faille construire sur ce socle d’autres incitatifs, prendre par exemple en charge une partie des coûts d’installation, selon la condition économique de l’étudiant étranger concerné.
L’engagement étant flexible, l’étudiant étranger serait toujours libre de verser ce qu’il doit et de quitter le Québec. Mais dans la mesure où il trouve un emploi local à la sortie de ses études, l’incitation sera forte de rester un an pour profiter du premier crédit fiscal. Et pourquoi pas du second, et du troisième…
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[1] Il y a aussi les objections fondées sur la fraude – qu’est-ce qui empêchera un étudiant de signer le contrat citoyen puis de prendre la poudre d’escampette – et de la dette – les étudiants en médecine s’endetteront davantage (comme ailleurs sur le continent) au prix fort chargé par les banques. Je propose de prendre ces deux problèmes en tandem, non sans noter au passage que le système actuel est également ouvert à la fraude. Cela dit, je crois normal que les étudiants qui empruntent pour payer leurs frais d’hébergement ou de voiture se tournent vers les institutions financières. Mais le paiement des frais de scolarité doit rester du ressort de l’État. C’est envers l’État que l’étudiant contracte sa dette, et l’État lui charge le taux d’intérêt, réduit, dont il bénéficie lui-même sur les marchés. La dette de l’étudiant est intégrée aux informations fiscales le concernant. Elle peut donc faire partie des accords fiscaux internationaux qui essaiment ces dernières années. Comme sa contravention pour excès de vitesse obtenue à New York poursuit maintenant le conducteur jusqu’à Rimouski, la dette fiscale contracté par le diplômé sera difficile (mais rien n’est impossible) à éviter.